Café des Arts des Sciences et des Techniques
organisé par Ars Mathématica, accueilli par La Fnac Digitale, en partenariat avec l'ECE
Douzième Rencontre:

Science et Littérature



vendredi 18 novembre 2005, 17H30-20H à La Fnac Digitale, 77-81 Bd Saint-Germain, Paris 6e (Odéon)
INTERVENANT 

Paul BRAFFORT
Écrivain, membre de l'OULIPO. Co-fondateur en 1982, avec le mathématicien Jacques Roubaud, du groupe ALAMO – Atelier de Littérature Assistée par la Mathématique et les Ordinateurs.
http://www.paulbraffort.net


LIMINAIRE

Le physicien Leo Szilard annonce un jour à son ami Hans Bethe qu’il a décidé de tenir un journal.
-    Je n’ai pas l’intention de le publier : je vais simplement cataloguer les faits pour que Dieu en soit informé.
-    Tu ne crois pas que Dieu connaît les faits ? lui demande Bethe .
-    Si, dit Szilard. Il connaît les faits, mais il ne connaît pas cette version des faits.

" Ceci n’est pas une histoire juive " .

Voilà, mon Parinaud, les dangers de la demi-culture, car il vous suffit de lire en un journal du matin que M. Albert Ducrocq a construit un robot-poète pour vous étonner aussitôt. Pourtant, qu'est-ce que ça a d'extraordinaire? Au siècle dernier, il y avait déjà Victor Hugo. Alors?

Boris Vian
Un robot poète ne nous fait pas peur
Arts. 10-16 Avril 1953


CONFÉRENCE


De par son usage capital de la langue, la littérature se trouve toujours au cœur de tous les mouvements d’expression artistiques ou intellectuels. Bien souvent même à l’avant garde.
Ainsi dans l’art du XX ème siècle, à l’origine de tous les grands mouvements on trouve des poètes : Breton pour le Surréalisme, Marinetti pour le Futurisme, apollinaire pour le cubisme, Tzara pour le Dadaïsme et bien d’autres encore.
L’art abstrait et l’avant garde russe ne se comprennent pas sans référence à la poésie symboliste.

Après le tournant linguistique, caractéristique d’une grande partie du siècle, nous vivons aujourd’hui, ce que d’aucuns appellent un tournant iconique, grâce aux nouveautés technologiques qui orchestrent en fait une « révolution algorithmique ». Apparaît la notion d’art génératif. Les œuvres d’art engendrées à partir d’un logiciel représentent une nouvelle forme de pratique créatrice, où le code informatique tient lieu de medium artistique. La littérature se trouve impliquée au même titre que les arts plastiques.

De tous temps les artistes ont cherché à exalter leur créativité par l’utilisation de moyens mécaniques ou artificiels, et par l’emploi de procédures codifiées. Des règles de proportion dans l’architecture ou la peinture, à la composition musicale au « hasard » du temps de Haydn et Mozart, aux harmonographes et kaléidoscopes de l’époque victorienne destinés à produire de nouveaux motifs visuels. Dès les années 1930, Joseph Schillinger, le professeur de Gershwin, a montré comment l’on pouvait utiliser des méthodes algorithmiques et mathématiques pour engendrer des structures musicales et visuelles. Le Modulor
de Le Corbusier s’inscrit dans cette perspective.

Les jeux formels et formalistes considérant le langage comme un matériau concret ont toujours tenté poètes et écrivains. Aussi le fameux poème de Mallarmé « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard », n’est pas tant un coup de théâtre que la poursuite d’une longue tradition, ouvrant la porte sur un univers de mots en liberté.
Alan Türing, le père fondateur de l’informatique, avait prédit avant même l’existence des ordinateurs que ces machines auraient des comportements autonomes et pourraient même composer de la poésie.

Dans « Les voyages de Gulliver », Jonathan Swift décrit le projet d’une machine à écrire des textes, en ayant à l’esprit le programme de Leibniz (et celui plus ancien de Lulle) de mécanisme de déduction automatique.
Ce n’est qu’au début des années 1960 que Raymond Queneau et le mathématicien François le Lionnais fondèrent un mouvement d’étude systématique d’expérimentation littéraire : OULIPO – Ouvroir de Littérature Potentielle. Il s’agissait de réunir écrivains et mathématiciens intéressés par les problèmes de création littéraire sous contrainte, par l’utilisation de structures mathématiques non triviales. Avec en particulier l’exploitation de la combinatoire et des possibilités offertes par le hasard. L’œuvre de Queneau « Cent mille milliard de poèmes » représentait une telle tentative à la main, bientôt relayée par des procédés informatiques.

A la même époque l’allemand Max Bense et le français Abraham Moles, théoriciens de l’esthétique mathématique via la théorie de l’information, publient des textes affirmant les principes de l’art permutationnel.
Recherche plastique et recherche littéraire se déploient sur des terrains mathématiques semblables. L’activité des membres de l’OULIPO s’exerce en parfaite résonance avec les démarches picturales de Lohse, Vasarely, Morellet ou Vera Molnar. Dans une atmosphère intellectuelle qui doit beaucoup aux idées de la cybernétique, de la robotique et de l’intelligence artificielle, propres à l’élaboration d’une conception de l’art programmé.

A partir des années 80 l’accès généralisé aux ordinateurs va promouvoir la notion de création littéraire assistée par ordinateur. C’est ce qui va conduire Paul Braffort et le mathématicien Jacques Roubaud à créer en 1982 un groupe nouveau ; ALAMO – Atelier de Littérature Assistée par la Mathématique et les Ordinateurs. Dès lors vont se développer des expériences multiples de littérature informatique, où vont s’illustrer des créateurs comme Jean Pierre Balpe ou Philippe Bootz, animateur de la revue ALIRE, première revue de poésie électronique.

Paul Braffort tentera de tracer un panorama de ces expériences littéraires dont il fut un des pionniers, et de situer la problématique générale si riche des rapports entre la science et la littérature. En soulignant l’unicité  de la démarche créatrice qui privilégie l’imaginaire au dépens des illusions du réalisme.

En écho au récent congrès de la Society for Literature and Science (Paris 2004), il évoquera des auteurs anglophones – mais d’origines diverses : A.S. Byatt, Leo Szilard, Stefan Themerson, Kurt Vonnegut, auteurs devenus classiques, ainsi que les modèles résolument fantastiques de l’univers proposés par des théoriciens de la physique.

1. Les étapes essentielles du débat, de Perrault à C.P.Snow
 2. Les grands "unicistes", de Lucrèce à Themerson et Calvino
 3. Une étude de cas : Leo Szilard
 4. Les infortunes de la métaphore : physique et rhétorique.


POUR EN SAVOIR PLUS :

Site de Paul Braffort, où l’on peut télécharger son livre « Science et littérature », et de nombreux textes concernant OULIPO et ALAMO. http://www.paulbraffort.net


R. Queneau. Cent mille milliards de poèmes. Gallimard. 1961.

I. Calvino. Cybernétique et fantasmes ou de la littérature comme processus combinatoire. Dans La machine littéraire. Seuil. 1984.

OULIPO (coll) Atlas de littérature potentielle . Gallimard. 1981.

Le site officiel de l’OULIPO : http://www.oulipo.net
       
La revue ALIRE :  http://www.mots-voir.com

A. Vuillemin et M. Lenoble, eds. Littérature et informatique. La littérature générée par ordinateur. Artois Presses Université. 1995.

L’Astrolabe. Recherche littéraire et informatique.
On trouve sur ce site à la rubrique : Encyclopédie de la recherche littéraire assistée par ordinateur, les articles d’
A. Vuillemin. Poésie et informatique (2002, 2004) : http://www.uottawa.ca/academic/arts/astrolabe

et bien d’autres.
       
Sur le site du ZKM de Karlsruhe (Peter Weibel), l’exposition « Die algorithmische revolution. ZurGeschichte der interaktiven Kunst » - La révolution algorithmique. Histoire de l’art interactif. Avec un panorama historique détaillé de la littérature informatique : http://www.zkm.de:81/algorithmische-revolution

A titre d’orientation générale
On trouve sur Google de très nombreux syllabus de cours sur le thème “Literature and science »,
comportant des informations sur cette problématique.

Ian Lancashire
University of Toronto
[ http://www.chass.utoronto.ca/~ian/258y9920.html  ]

This course introduces you to works of imaginative literature (poetry, plays, short stories, and science fiction) with scientific topics, and works of science (the treatise, popular science reporting, travel diary, essay, and the autobiography) with purposes more than utilitarian. We will read and discuss these texts, in chronological order, from 1800 to the present. Topics include artificial life and artificial intelligence (Mary Shelley, Gibson and Sterling, and Weizenbaum), geology, evolution, and extinction (Darwin, Tennyson, Huxley, Wells, Adams and Carwardine), entropy (Pynchon), quantum and chaos theory (Amis, Simmons, Stoppard), space travel (Niven), genetics (James D. Watson), and linguistic anthropology (Ian Watson). Important threads will be the relations of literary imagination and scientific creativity (Percy Shelley, Arnold, James Watson), and the mutual criticism each of these two cultures, science and literature, makes of one another.

Craig Sean Mc Connell
California State University
[ http://faculty.fullerton.edu/cmcconnell/491/Resources.htm ]

Lafayette College
Easton PA
[ http://ww2.lafayette.edu/~wallsl/ldwsyllabus.html ]
IMAGES ET VIDÉO DE LA RENCONTRE





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