Café des Arts des Sciences et des Techniques
organisé par Ars Mathématica, accueilli par La Fnac Digitale, en partenariat avec l'ECE
Treizième Rencontre:

L’origine des formes du langage :

auto-organisation, métaphores et machines




mercredi 7 décembre 2005, 17H30-20H à La Fnac Digitale, 77-81 Bd Saint-Germain, Paris 6e (Odéon)
INTERVENANT 

Pierre-Yves OUDEYER
Chercheur au Sony Computer Science Lab

Pierre-Yves Oudeyer est chercheur au Sony Computer Science Laboratory à Paris. Il fait des recherches sur les origines de la parole, et construit des sociétés de robots pour étudier comment des conventions linguistiques partagées peuvent être construites culturellement. En particulier, il étudie le rôle de l’auto-organisation dans le couplage entre les modalités sensori-motrices des agents, et dans le couplage des agents entre eux.
Plus généralement, il s’intéresse aux mécanismes qui permettent à un robot de développer des capacités perceptuelles, motivationnelles et comportementales et de créer et partager des représentations culturelles. Ces recherches, au croisement de la robotique cognitive et de la psychologie développementale, incluent l’étude des systèmes de motivation intrinsèque comme la curiosité, qui permettent à un robot d’accroître ses connaissances et son répertoire d’actions de manière ouverte. Elles incluent aussi l’étude des mécanismes de l’attention partagée, de la formation de représentations, et des interactions culturelles.

CONFÉRENCE

La question des origines du langage, après avoir été quasi-occultée pendant un siècle, est revenue sur le devant de la scène. Question pluri-disciplinaire, un nombre grandissant de chercheurs la pensent désormais en utilisant des concepts développés par les sciences de la complexité.

L’hypothèse est que le langage et les langues sont des systèmes adaptatifs complexes, qui sont le résultat auto-organisé de l’interaction dynamique et collective des individus, de manière analogue par exemple à l’architecture sophistiquée des nids de termites qui est le résultat auto-organisé de l’interaction entre les termites, sans qu’aucune d’elles n’ait un plan de la structure globale.
Or les systèmes adaptatifs complexes sont très difficile à comprendre, et l’un des outils cruciaux pour nous permettre de développer notre intuition à leur sujet est la construction de systèmes artificiels.

L’auto organisation de la parole

La nature est pleine de formes et de motifs fascinants d'organisation, et en particulier dans sa partie inorganique. La silhouette des montagnes est la même que l'on regarde à l'échelle du rocher, du pic ou de la chaîne. Les dunes de sable s'alignent souvent en longues bandes parallèles. L'eau se cristallise en flocons symétriques et dentelés quand la température s'y prête. Et quand elle coule dans les rivières et tombe des cascades, apparaissent des tourbillons en forme de trompettes et les bulles se rassemblent en structure parfois polyhédrale. Les éclairs dessinent dans le ciel des ramifications à l'allure végétale. La liste de ces formes rivalise de complexité avec bien des artefacts humains. Et pourtant rien ni personne ne les a dessinées ou conçues. Pas même la sélection naturelle, le concepteur aveugle de Dawkins. Elles ont des propriétés organisationnelles globales qui ne sont pas présentes au niveau local :  la forme d'une molécule d'eau, ainsi que les propriétés physico-chimiques de ses constituants sont  qualitativement différentes de celles des cristaux de glace, des tourbillons, ou encore des polyèdres de bulles. Voila la marque de l'auto-organisation : la formation, dans les systèmes complexes constitués de nombreux composants en interaction, de structures globales dont les propriétés ne sont pas présentes au niveau local. Ce phénomène est un moteur essentiel de la création des formes de la nature, et il s’applique autant au monde biologique qu’au monde inorganique. En effet, la sélection naturelle n’est pas le seul mécanisme explicatif pour rendre compte des formes et des structures des êtres vivants.

Les biologistes ont déjà montré par exemple le rôle de l’auto-organisation dans les sociétés d’insectes sociaux (e.g. la construction des nids de termites, l’organisation collective de la chasse chez les fourmis, l’organisation sociale dans les ruches des abeilles, etc.). Ils ont aussi montré le rôle de l’auto-organisation dans le fonctionnement cognitifs des humains (e.g. dans les dynamiques neuronales de l’apprentissage et de la catégorisation). Nous sommes aujourd’hui à l’aube d’une nouvelle avancée de l’usage du concept d’auto-organisation pour comprendre le monde biologique : un nombre grandissant de chercheurs proposent que les structures culturelles, et en particulier le langage, sont des structures auto-organisées.

Cependant, l’auto-organisation est un phénomène complexe qu’il est difficile d’appréhender intuitivement. Il existe un certain nombre d’outils mathématiques, mais qui trouvent vite leur limite. C’est pourquoi l’outil central aujourd’hui pour explorer et étudier les phénomènes auto-organisés est l’ordinateur. En effet, il permet de construire des systèmes artificiels qui simulent tout ou partie des systèmes complexes que l’on veut étudier. L’avantage de ces systèmes artificiels est qu’il permettent littéralement de jouer avec un certain nombre de paramètres, et ainsi de développer nos intuitions sur les mécanismes qui sont à l’origine des formes. Je présenterai dans cet exposé deux exemples de systèmes artificiels qui ont été développés pour étudier le rôle de l’auto-organisation dans l’origine du langage. Le premier concerne l’origine de la parole, système de sons partagés par tous les membres d’une communauté linguistique mais différents d’une communauté à l’autre, et caractérisé par des propriétés structurales comme la digitalité, la combinatorialité ou des préférences statistiques pour certains phonèmes plutôt que d’autres.  Le second exemple concerne l’origine des lexiques et des catégories sémantiques partagés par une même communauté linguistique. Ce système artificiel met en jeu des robots qui se construisent culturellement et de manière décentralisée un répertoire de mots et de catégories pour parler des objets dans leur environnement.


COMMUNICATION ET AUTO-ORGANISATION DES FORMES

  • P. BALL. The self-made tapestry. Pattern formation in nature. Oxford University Press. 2001. Essentiel
  • S. CAMAZINE, J.L. DENEBOURG, A. FRANKS, J. SNEYD, G. THERAULAZ and E. BONABEAU. Self-organization in biological systems. Princeton University Press. 2001
  • E. BEN JACOB, I. COHEN and H. LEVINE. The cooperative self-organization of microorganisms. Adv. Phys. 49, 395-554, 2000.
  • E. BEN JACOB, I. BECKER, Y. SHAPIRA and H. LEVINE. Bacterial linguistic communication and social intelligence. Trends in microbiology. 12, 8, 2004.
  • P.Y. OUDEYER. Aux sources du langage: l’auto-organisation de la parole. Cahiers Romans de Sciences Cognitives. 2005, n°2.
  • P.Y. OUDEYER. L’auto-organisation de la parole. Thèse de Doctorat de l’Université ParisVI. 2003. http://www.csl.sony.fr/~py/theseFrench.html
  • F. KAPLAN. La naissance d’une langue chez les robots. Hermes Science. 2001.
IMAGES ET VIDÉO DE LA RENCONTRE







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