Café des Arts des Sciences et des Techniques
organisé par Ars Mathématica, accueilli par La Fnac Digitale.
Vingt-Neuvième Rencontre:

Pour une nouvelle esthétique
Culture non linéaire et naissance des formes.

avec

le Dr. Louis José LESTOCART (CNRS)

jeudi 19 février 2009, 18h00-20H à La Fnac Digitale, 77-81 Bd Saint-Germain, Paris 6e (Odéon)

INTERVENANT

Dr. Louis José LESTOCART

Critique d'art et de cinéma, chercheur en épistémologie artistique.

Critique d'art et de cinéma, docteur ès sciences et technologie des arts (Paris 8), Louis-José Lestocart est chercheur en épistémologie artistique.
Affilié à l’IRIS (CNRS), membre du bureau du Programme européen Modélisation de la CompleXité et de l’Institut des Systèmes Complexes Paris Ile-de-France, il co-dirige, en ce dernier lieu, le groupe « Esthétique, complexité, modélisation et expérimentation », voué à l’étude des rapports Science/Art.

Il vient de publier un ouvrage de référence aux éditions de l’Harmattan :
« Entendre l’esthétique dans ses complexités »

Site Web: http://formism.net/ecme

images et vidéos de la rencontre (disponibles fin février)
Une culture de l’émergence et de la complexité

Le développement de la théorie des systèmes dynamiques et le néo-mécanisme qui en découle sont à l’origine d’une vision du monde qui se cristallise en une véritable culture non-linéaire. Une culture qui intègre profondément l’idée qu’une petite cause peut avoir un grand effet disproportionné et que l’effet peut rétroagir sur la cause. Une culture de l’émergence et de la complexité.

 D’où naissent les formes ?
Et, au-delà, qu’est-ce que l’acte de
percevoir, de penser, d’écrire ou de créer et surtout d’interpréter ?
La science, depuis Aristote et Leibniz, s’est beaucoup penchée sur la question de la naissance des formes (Goethe, D’Arcy Thompson, Turing, Thom, Prigogine, Crutchfield).
Ces études ont été à la fois
à l’origine de nouvelles techniques et de nouvelles pensées – comme la science des systèmes, l’auto-organisation –, et de nouvelles valeurs fondamentales (rétroaction, récursivité, causalité descendante).
Ces découvertes prenant leur essor à la fois dans le champ mathématique, physique, informatique, biologique et épistémologique, ont cependant très tôt côtoyé des préoccupations esthétiques.
Tout au long de l’histoire du XX° siècle, des artistes aussi différents que Duchamp, Kandinsky, Valéry, Schwitters, Cage, Rauschenberg, jusqu’à des artistes plus récents, se sont nourris à ces découvertes
ou, même, quelques fois, les ont anticipées. C’est cette histoire qui veut être contée ici. Elle s’entend via la Complexité et ses formes d’émergences.

Ces émergences qui agencent des configurations complexes organisées en systèmes ouverts parfois interactifs, on peut les compter au nombre d’une dizaine. Que ce soit l’entéléchie (Aristote, Leibniz), la morphogenèse (D'Arcy Thompson, Turing), la mécanique statistique (Boltzmann), les effets de seuil qualitatif, le potentiel organisateur de la théorie des catastrophes (Thom), le processus d’individuation transductive (Simondon), l’emboîtement des formes (propriétés émergentes qui n'existent pas dans chaque élément séparé), l’organisation autopoïetique d’un système vivant, la boucle rétroactive (Wiener), les phénomènes récursifs (Gödel) d'une construction interactive avec l'environnement, la totalité qui n'est plus une somme d'éléments, mais vient du langage, ou enfin l’auto-organisation des automates cellulaires (Von Neumann, Ulam, Langton, Wolfram) ; ce sont toutes sortes d’émergences susceptibles épistémologiquement d’être rapprochées d’une certaine création artistique au XX° siècle..

L’enjeu étant de tracer l’idée d’une inséparabilité, au moins épistémologique, entre Art et Science : Unitas multiplex selon Valéry.




Karl SIMS / Galapagos (1997)



articles extraits du « Lexique de Philosophie Naturelle » de Simon Diner :


CULTURE NON-LINEAIRE

Le développement de la théorie des systèmes dynamiques* et le néo-mécanisme* qui en découle sont à l’origine d’une vision du monde qui se cristallise en une véritable culture non-linéaire. Une culture qui intègre profondément l’idée qu’une petite cause peut avoir un grand effet disproportionné et que l’effet peut rétroagir sur la cause. Ce couplage du non linéaire* et de la rétroaction* qui fait la spécificité des auto-oscillateurs* et leur universalité. Une vision très large de l’auto-organisation* et de la naissance des formes*, un sens approfondi de la notion d’autonomie*. Une attention profonde aux paramètres qui contrôlent le comportement des systèmes et dont la variation provoque des bifurcations* qui peuvent entraîner des régimes chaotiques*.

L’infiltration du non linéaire dans la culture se produit lors d’un changement complet des systèmes de référence de la philosophie naturelle, la substitution à l’astronomie de la biologie et de la dynamique sociale. Dans des civilisations où l’idée de Dieu était prégnante, les considérations sur la forme et la nature du Cosmos occupaient le devant de la scène. Le monde était organisé à l’image du ciel et naturellement régulé, ce qui explique le succès de la mécanique classique et l’emprise du mécanisme*. Dans un monde où le vivant s’impose comme un impératif de la pensée avec sa non linéarité fondamentale, ses amplifications et ses rétroactions, sa chaoticité même, les acquis du néomécanisme pénètrent tous les aspects de la culture.

Ainsi la pensée écologique qui habille tant de discours contemporains repose sur une écologie mathématique toute préoccupée de problèmes de stabilité*, de modèles non linéaires d’évolution de populations, d’ondes non-linéaires*, de structures dissipatives* et de catastrophes*. Les temps ont changés depuis que Niels Bohr proposait encore un modèle planétaire de l’atome.

La pensée contemporaine assimile lentement la notion d’auto-référence*, de récursivité* et ses avatars, autotélisme* et autosimilarité*. L’immense succès médiatique de la notion de fractal* à travers une imagerie polymorphe, contribue à rendre populaire l’idée du retournement sur soi même. L’idée du champ d’action créé par tout être qui rétroagit sur l’être lui-même (le champ propre* de la charge électrique en électrodynamique).

La pénétration de la culture non linéaire dans notre société s’effectue le long des applications de l’informatique qui sont le siège constant de simulations de systèmes dynamiques*.


NEOMECANISME

Au mécanisme* associé à la mécanique classique* succède de nos jours un néomécanisme associé à la théorie des systèmes dynamiques*. Il est le pilier d’une culture non-linéaire* où le réductionnisme* du mécanisme* se voit remplacé par le non réductionnisme de l’émergentisme*. Son paradigme central est le système ouvert non linéaire siège de l’auto-organisation*, lorsque la dissipation* stabilise la rétroaction*. Ses concepts opératoires sont les attracteurs*, les cycles limites* et les bifurcations*. Ses phénomènes fétiches sont la complexité* et le chaos* déterministe.

L’abandon d’une attitude réductionniste simpliste correspond à une considération privilégiée du qualitatif, du global, du géométrique au dépens du quantitatif, du local et de l’analytique. Ceci s’accompagne d’une prise en compte systématique des niveaux d’observation et des échelles, et aboutit à des efforts systématiques pour définir correctement et judicieusement la complexité*, l’information* et le sens*. Ce néomécanisme entraine un changement un changement total de point de vue responsable d’une approche ontologique réaliste des problèmes liés au hasard* et un renouvellement des questions concernant l’apparition de l’ordre, de l’organisation* et des formes*.

Le néomécanisme transforme complètement les conceptions sur le déterminisme*, l’évolution*, la causalité*, la finalité*, la régulation*, l’apprentissage*, la rationalité*. Toute une culture non-linéaire* où s’ouvrent de nouvelles perspectives pour la compréhension de l’apparition et du maintien de la vie*, de l’évolution biologique*, ainsi que pour l’étude des phénomènes de perception*, de pensée* et de conscience*.
 

AUTOREFERENCE

Le fait pour certaines phrases ou certaines expressions de faire référence à elles mêmes. Ce qui correspond au fait général d’être à la fois argument et fonction*.Le fait pour un sujet de faire référence à lui-même. Dans certains cas ceci ne pose pas de problèmes alors que dans d’autres cela conduit à des paradoxes* (paradoxe du menteur*). Tarski* dans sa distinction entre langue-objet et métalangue et dans sa théorie sémantique de la vérité* a tenté d’expliquer cette dichotomie.

L’autoréférence est une situation d’une grande généralité en linguistique, en philosophie, en mathématiques et en programmation informatique. L’autoréférence est un des grands thèmes de la culture non linéaire*. Il a acquis une certaine popularité à travers un livre à succès comme « Gödel, Escher, Bach, les brins d’une guirlande éternelle » de Douglas Hofstader. Ce livre examine quel rapport y a-t-il entre la musique de Jean-Sébastien Bach, les dessins du graveur néerlandais Maurits Escher, et le célèbre théorème du logicien autrichien Kurt Gödel ? Du premier, on connaît des pièces lisibles indifféremment dans les deux sens, ou répétant le même motif sous des formes toujours nouvelles ; Escher lui, nous a laissé des images paradoxales de fontaines s'alimentant elles-mêmes, de bandes de Möbius infinies ou de mains s'autodessinant. De Gödel enfin, vient cet étrange théorème posant une limite à la capacité des mathématiques à démontrer leurs propres théorèmes. "Autoréférence" est ainsi le maître mot d'un récit fleuve, devenu livre-culte, d'une totale liberté d'écriture et de ton. De dialogues en chansons, de Lewis Carroll à Magritte, et de la biologie moléculaire à l'intelligence artificielle, l'auteur démonte les rouages logiques sur lesquels reposent toutes les sciences actuelles. Hofstader introduit le terme de « boucle étrange » pour désigner des systèmes où lorsque l’on se déplace selon de niveaux hiérachiques on revient au niveau initial. Hofstader donne comme exemple de boucles étranges, de nombreuses œuvres de Escher, le flot d’information entre l’A.D.N. et les enzymes à travers la réplication de l’A.D.N. et la synthèse des protéines, et les propositions indécidables envisagées par Gödel.

L’autoréférence a de nombreux avatars : la récursivité*, le champ propre*, l’autocatalyse*, l’autopoièse*, l’autoorganisation*, l’autotélisme, l’autosimilarité* et les fractals*. L’autoréference est une conception voisine de la rétroaction*, mais relève plutôt de la réaction* lorsque la boucle réagit directement sur le système et non pas sur ses entrées.



oeuvres de Bernard CAILLAUD


IMAGES ET VIDÉO DE LA RENCONTRE
disponibles fin février

vidéo au format
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